L’invention de l’orgue en Grèce : l’hydraulos

C’est Ctésibios d’Alexandrie, au 3e siècle avant JC, qui construisit le premier type d’orgue connu appelé Hydraulos, nom formé d’hydros (eau) et d’aulos, instrument à vent à deux chalumeaux en roseau joué par les aulètes. On l’appelle aussi orgue hydraulique. En effet, cet instrument utilisait une colonne d’eau pour assurer une pression d’air continue pour alimenter ses tuyaux. 

L’hydraulos mettait en œuvre plusieurs des nombreuses inventions de Ctésibios, en particulier : le piston, la soupape, le clavier,  ainsi que le principe d’élasticité de l’air permettant d’obtenir de l’air comprimé.

La configuration générale d’un orgue est la suivante :

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Chaque tuyau, de longueur différente, correspond à une note.

Le sommier permet de diriger l’air fourni par la soufflerie vers le tuyau (la note) sélectionné par le clavier.

Ces éléments se retrouvent bien sur dans l’hydraulos sous la forme suivante :

Sommier et clavier :

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A chaque tuyau est associé un tiroir dans le sommier, actionné par une touche du clavier. Ce tiroir en se déplaçant autorise ou non l’accès de l’air dans le tuyau.

Soufflerie :

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L’air est introduit dans la cloche à l’aide de la pompe.  La colonne d’eau dans laquelle est immergée la cloche, assure dans celle-ci une pression continue.

Dans la pratique, l’hydraule comportait 2 pompes actionnées manuellement, et pouvait ressembler à ceci :

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Au Moyen-Âge

L’orgue, que nous avons vu naître dans la Grèce antique, va évoluer avec la musique tout au long des âges, en intégrant les progrès techniques de chaque époque.

 

L’orgue portatif

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Orgue portatif du 14e siècle

L'orgue portatif était limité à un nombre réduit de tuyaux, qui lui permettait d’être assez léger pour être utilisé par une seule personne, le bras gauche soutenant l’instrument et actionnant la réserve d’air tandis que la main droite jouait sur un clavier.

 

L’orgue positif


Orgue positif
Cathédrale de Burgos

L’orgue positif, plus  lourd et plus volumineux que l’orgue portatif apparaît dès le 10e siècle. Il reste transportable, mais il est posé sur table ou sur pieds pour être joué. Une deuxième personne est requise pour actionner la soufflerie.

On le trouvera plus tard associé au grand orgue de tribune qui va se généraliser dans les églises à partir du 15e siècle.

 

 

A la Renaissance

Après l’orgue portatif et l’orgue positif, apparaît le grand orgue, d’abord utilisé en accompagnement,  puis en instrument soliste.

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Orgue portatif (ou régale)

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Orgue positif (1432)

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Grand orgue de l’église de la Sainte Trinité de Smecno  (1587)

Le principe du grand orgue est le même que celui de ses prédécesseurs (cf. l’hydraule) : Une soufflerie actionnée manuellement alimente un sommier qui distribue l’air à des tuyaux sélectionnés par un clavier.

L’évolution de l’orgue à la renaissance concerne essentiellement la complexité croissante des jeux et l’utilisation de registres commandant ces différents jeux.

 

Un peu de technique

Les tuyaux

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On distingue 2 types de tuyaux :

 

-        Les tuyaux à bouche fonctionnant comme une flûte, composés d’un corps et d’un pied, séparés par le biseau qui s’avance jusqu’à une fente appelée lumière.

-        Les tuyaux à anche, tels que trompettes, hautbois, cromorne … possédant une languette de métal sur laquelle vient glisser une petite tige appelée rasette qui permet le réglage du tuyau.

 

C’est la longueur du tuyau qui détermine la hauteur du son. Cette longueur est exprimée en pieds ( abréviation : ) et peut varier de 1/32 ’ soit environ 1 cm pour l’extrême aigu,  à 32 ’ soit environ 10 m pour l’extrême grave.

On appelle taille du tuyau le rapport entre sa longueur et son diamètre. Elle détermine le timbre de la note. Plus la taille est grosse, plus le son sera rond et flûté, plus elle est étroite et plus le son sera proche du violon.

On appelle bourdon (ou flûte bouchée) un tuyau bouché : celui-ci émet un son correspondant à un tuyau ouvert 2 fois plus long, donc 2 fois plus grave. Par exemple un bourdon de 4’ sonne comme un tuyau ouvert de 8’.

 

Les jeux

On appelle jeu, une famille de tuyaux de même timbre. Le 16e siècle a vu se développer de nombreux jeux aux timbres très variés.

Un jeu est déterminé par son nom, qui est souvent celui d’un instrument de musique dont il imite le timbre, et par la longueur de son tuyau le plus grave. Par exemple, Trompette 8’, flûte 16’, régale 4’ (du nom de l’orgue régale, qui est un petit orgue portatif).

On distingue :

-        Les jeux principaux (tuyaux à bouche de taille moyenne et étroite)
-        Les flûtes et bourdons (tuyaux à bouche de taille large) aux sonorités pleines
-        Les jeux d’anches (tuyaux à anche) aux sonorités éclatantes

On appelle plein-jeu, une combinaison des jeux principaux. C’est ce qui donne le son le plus riche et le plus caractéristique de l’orgue.

On appelle grand-jeu une combinaison de jeux d’anches (par exemple bombarde 16’ + trompette 8’ + clairon 4’)

 

Distribution des jeux – registres

Des registres, commandés par l’organiste à l’aide de tirettes, permettent d’associer un jeu ou une combinaison de jeux, à chaque clavier de l’orgue.

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Evolution de l’orgue 

Au 14e siècle, on introduisit le pédalier et les jeux d’anches.

Au 15e siècle, on augmenta l’étendue de l’instrument jusqu’à 4 octaves et on introduisit les premiers registres. On voit apparaitre des orgues de 2000 tuyaux à 3 claviers et pédalier.

Au 16e siècle des jeux nouveaux apparaissent (jeux bouchés).

orgue positif 1651 (Pa)
Orgue positif (1651)
(musée de la musique - Paris)

D’abord orgue autonome transportable, l’orgue positif  a été intégré au grand orgue de tribune dont il constitue souvent le 2e clavier.

Le positif  contient des jeux de même nature que ceux du grand-orgue, mais plus légers. Il  permet une plus grande vélocité de jeu.

 

A l’époque baroque :

La facture de l’orgue à transmission mécanique atteint son apogée, en France et dans les pays germaniques pendant les 17e et 18e siècles.

Apparaissent alors de nouveaux claviers : D’abord un 4e clavier appelé écho, (sorte de positif interne), puis un 5e clavier appelé « bombarde » correspondant à une batterie d’anches qui vient renforcer le grand-jeu de l’orgue.

Cette période est marquée par de célèbres facteurs d'orgue tels :

 En Allemagne, la famille Silbermann

 En France : Dom Bedos de Celles dont le traité "L'art du facteur d'orgue" fait encore autorité de nos jours, et surtout François-Henri Clicquot (1732-1790) dont les instruments comptent parmi les plus beaux chefs-d'œuvre de l'« orgue classique français ».

 

Orgue de l’église St Gervais à Paris  (joué par la famille Couperin)

Paris, église Saint-Gervais (orgue des Couperin)

Positif 49 notes,
La-Ut-Ré à Ut

Grand-Orgue (id)

Récit 25 notes
Ut à Ut

Écho 37 notes,
Ut à Ut

Pédale 29 notes
La-Ut-Ré à Mi

Bourdon 8'
Montre 4'
Doublette
Fourniture
Cymbale
Nasard
Tierce
Larigot
Cromorne

Montre 16'
Bourdon 16'
Montre 8'
Bourdon 8'
Prestant
Doublette
Fourniture
Cymbale
Flûte 4'
Nasard
Tierce
Quarte
Cornet V
Trompette
Clairon
Voix Humaine

Cornet V
Trompette (en 1714)

Bourdon
Prestant
Nasard
Doublette
Tierce
Cymbale III
Cromorne

Flûte 8'
Flûte 4'
Trompette

Composition de l’orgue de St Gervais au temps de François Couperin
(documentation : orgues à nos logis)

 

L’orgue au 19e siècle

Pendant la période classique, l'orgue va quasiment disparaître du registre musical  au profit de l'orchestre symphonique. Il renait avec le romantisme, et des compositeurs tels que César Franck et Felix Mendelssohn Bartholdy.

Au 19e siècle, l’orgue romantique, puis symphonique,  est principalement l’œuvre des Walker en Allemagne, de Joseph Merklin en France, qui intégra l'électricité à ses orgues  avec son système électropneumatique,  et surtout du plus célèbre facteur d’orgue de tous les temps, considéré comme le Stradivarius de l’orgue, Aristide Cavaillé-Coll  (1811-1899).

Ces facteurs repensèrent l’orgue en fonction de la nouvelle esthétique orchestrale.

Joseph Merklin a été le principal et plus direct concurrent d'Aristide Cavaillé-Coll. Vers la fin de sa carrière, Joseph Merklin s'est définitivement démarqué de son concurrent en intégrant l'électricité à ses orgues, avec le système électropneumatique "Schmoele & Mols" dont il était le concessionnaire exclusif en France.

 

Aristide Cavaillé-Coll est issu d’une famille de facteurs d’orgue, par son grand-père Jean-Pierre Cavaillé   et son père Dominique Cavaillé-Coll, qui travaillèrent  dans le sud de la France et en Espagne.

En 1833, il s'installa à Paris  pour réaliser un petit orgue pour la représentation d’un opéra de Rossini, après quoi il remporta un appel d’offre pour doter la Basilique Saint-Denis de grandes orgues. Il commença alors à construire un orgue totalement révolutionnaire pour l’époque et qui reprenait toutes les dernières innovations de son temps.

Parmi les modifications d’ordre mécanique adoptées ou mises au point par Cavaillé-Coll,  citons :

-        la pédale de tirasse permettant de jouer avec la pédale les notes d’un ou de plusieurs claviers accouplés.

-        les boîtes expressives : Ce sont des caissons munis d’un ensemble de volets mobiles qui peuvent être commandés de la console, permettant de modifier le volume du son.

-        L’amélioration de l’alimentation en air pour différencier les pressions selon les besoins.

-        la machine Barker permettant, par assistance pneumatique, d’alléger la dureté du clavier sur les orgues de grande taille et vaincre ainsi la résistance des claviers accouplés.

-        le pédalier à l’allemande, aux touches plus longues que le pédalier à la française, permettant ainsi de jouer avec les pointes et les talons.

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Eléments constitutifs de l’orgue

 

Ces modifications permettent plus de virtuosité, et de passer insensiblement du pianissimo (bourdon de récit, boîte expressive fermée) au tutti, tous claviers accouplés, répondant ainsi à l’attente des compositeurs romantiques.

Cavaillé-Coll apporte  également un certains nombre de modifications au niveau de l’harmonie :

-        il introduit la famille des jeux dits « gambés » qui, plus étroits que les autres, donnent l'impression d'un jeu de cordes, et multiplient l'emploi des harmoniques.

-        Il introduit également des jeux « harmoniques » tels que les flûtes harmoniques, les trompettes harmoniques. 

Les tuyaux de flûte harmonique et de trompette harmonique ont des longueurs doubles de la normale. C’est un petit trou pratiqué à mi-hauteur dans le tuyau qui permet de remonter la note une octave plus haut.  Ainsi, une flûte harmonique (dite aussi octaviante) de 4' a des tuyaux de même hauteur que les 8' ouverts. Elle attaque comme un 8', puis tient sa note en 4', ce qui donne une clarté toute spéciale au son.

La technique de l’entaille qui se généralise,  permet d’accorder les tuyaux qui n’ont dès lors plus besoin d’être coupés à une longueur précise, mais aussi d’en modifier le timbre. Elle permet ainsi à l’harmoniste, en réglant les proportions de l’entaille, de créer de nouveaux timbres.

De même pour les bourdons, qui sont des tuyaux fermés, l’accord s’effectue en faisant coulisser la « calotte »,  c'est-à-dire la partie bouchon du tuyau.

La 2e moitié du 19e siècle vit aussi l’introduction de la transmission électrique du clavier au sommier, et de ventilateurs électriques pour l’alimentation en air.

 

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L’orgue Cavaillé-Coll de la basilique de St Denis

 

Quelques références

Pour tout savoir sur les jeux d’orgue, visitez ce site très complet : decouverte.orgue.free.fr


Autres références :

L’association Cavaillé-Coll : cavaille-coll.fr

Deux pages du site de Laurent PLET, facteur d'orgues :

Étude de la tuyauterie d'Aristide Cavaillé-Coll
Les caractéristiques sonores des orgues Cavaillé-Coll

Un glossaire : Orgues en région de Bruxelles

Un autre lexique de l’orgue

 

Le répertoire du 19e siècle.

Les premiers grands compositeurs romantiques pour l’orgue sont Félix Mendelssohn (1809-1847) et Franz Liszt (1811-1886), mais le plus grand  représentant de l’orgue romantique orchestral est sans conteste César Franck (1822-1890).

Brahms a également écrit quelques œuvres pour orgue.
Parmi les autres grands compositeurs d’orgue du 19e siècle, on trouve Léon Boëllmann (1862-1897), Marc Reger (1873-1916), Camille Saint-Saëns (1835-1921), Charles-Marie Widor (1844-1937), Louis Vierne (1870-1937), Charles Tournemire (1870-1939).

Les  20e et 21e siècles verront :

Marcel Dupré, Maurice Duruflé, Jean Langlais, Olivier Messiaen, Gaston Litaize, Jehan Alain, Pierre Cochereau, Jean Guillou, Jean-Pierre Leguay, Daniel Roth, Jean-Louis Florentz, Thierry Escaich...

 


 

Extraits du répertoire



Buxtehude : "Passacaille" BuxWV 161

par Gilberto Guarino

 


J.S. Bach : Toccata et fugue en ré mineur

par Karl Richter

 


Liszt : Les préludes

par Helmut Deutsch.

 


César Franck: Prelude, fugue et variation

par Marie-Claire Alain

 


Widor : Toccata de la 5e Symphonie

par Frédéric Mayeur

 


Messiaen : Le Banquet Celeste

par Pierre Cochereau

 

 


L'orgue, comment ça marche ? par France Musique

 



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