Le 15e siècle marque la naissance d’une
nouvelle esthétique, engagée par l’anglais John Dunstable et le
fondateur de l’école franco-flamande,
Guillaume Dufay.
Le développement de la polyphonie
Le contrepoint
Les compositeurs franco-flamands ont développé la polyphonie et en particulier le
contrepoint, c’est à dire la superposition de plusieurs mélodies. Rappelons que
le terme de contrepoint vient de « point contre point » car à
l’origine les notes étaient représentées par des points.
Exemple de contrepoint :
L’imitation et le canon
Une forme majeure de contrepoint consiste à imiter une partie
dans une autre. C’est ce qui se passe dans le canon, où la même mélodie
se reproduit dans les différentes voix avec un décalage plus ou moins
important. Cette imitation de la mélodie peut être réalisée avec les
mêmes notes ou à l’octave supérieur ou inférieur, ou même à un intervalle
différent.
Exemple de canon à 4 voix :
.
Cet art de l’imitation a été poussé à l’extrême par Guillaume Dufay et
surtout par Jean
Ockeghem puisqu’on trouve jusqu’à 36 voix dans un de ses motets.
C’est, à ce niveau, un exercice de
style théorique qui n’a pas un grand intérêt musical puisqu’à partir d’un
certain nombre de voix, celles-ci se neutralisent et ne sont plus perçues par
l’auditeur.
Cet art sera ensuite développé par Josquin des Prés d’une manière plus élaborée et surtout plus
esthétique.
Evolution de la messe
Dans la suite de
Guillaume de
Machaut avec sa messe de Notre Dame, les compositeurs de
l’école franco-flamande développent ce nouveau genre musical, dans lequel sont mises en musique les cinq
parties de l’ordinaire de la messe : kyrie,
gloria, credo, sanctus et agnus Dei.
On appelle messes cycliques les messes qui réunissent cinq ou six pièces de l'ordinaire dans un même manuscrit.
Ces messes sont dites unitaires lorsque leurs différentes sections
s’appuient sur un même cantus firmus chanté par le ténor et qui lui donne son nom, par exemple : messe
« Rex seculorum » de J. Dunstable, ou messe « Ave
Regina Coelorum » de G. Dufay.
Le terme de cantus
firmus (« chant ferme ») désigne la mélodie qui sert de base à la
polyphonie.
Guillaume Dufay va affirmer cette tendance, tout particulièrement dans sa messe « de
l’homme armé ».
Messe de l’homme armé :
Le cantus firmus de cette messe est fondé sur la mélodie
profane d’une chanson très populaire au XVe siècle, dont le texte est le suivant :
L'homme armé doit-on
douter
On a fait partout crier
Que chacun se viegne armé
D'un haubregon de fer.
.
On peut en traduire le texte de cette façon : "Craignez l'homme armé. On a fait dire à chacun de
revêtir un haubergeon de fer", ce qui est semble-t-il un appel à s’armer contre l’ennemi qui approche.
Cette mélodie a été utilisée par de nombreux compositeurs
de messes dites « de l’homme
armé » jusqu’au 17e siècle, tels que Guillaume Dufay, Jean
Ockeghem, Josquin des prés, Jacob Obrecht , Palestrina, ainsi que Antoine Busnois (v.1430-1492), Pierre de La Rue (1450, 1518), Cristobal de Morales (1500,1553), Giacomo
Carissimi (1605,1674)
Voici à titre d'exemple le Kyrie de la messe de l'homme armé d'Ockeghem :
D’autres variantes de messes apparaissent à cette
époque :
-
La messe «parodie » utilise le cantus
firmus et d‘autres éléments mélodiques et contrapuntiques de compositions déjà
existantes.
- La messe « paraphrase » voit le cantus
firmus défiler librement dans toutes les voix. (au lieu de se limiter au
ténor).
John Dunstable (1385-1453)
John Dunstable était un mathématicien et astronome
anglais, plus connu comme musicien. On
a retrouvé ses manuscrits en Italie, en Allemagne, en France.
Il a composé des messes dont la « Missa Rex seculorum » ou la « Missa
Alma Redemptonis » qui sont les premières messes unitaires,
c’est à dire dont les parties sont reliées par
un thème unique, des motets dont 12 isorythmiques et des chansons
profanes.
Son style ouvre la voie à l’école flamande, où il
influença en particulier Dufay et Binchois.
Son utilisation de tierces majeures, qui rendait sa
musique plus harmonieuse que celle de ses contemporains, allait en effet
devenir la norme. Il utilisa aussi beaucoup les intervalles de sixte entre les voix à la place des quartes,
quintes et octaves plus largement utilisés à cette époque. Il a été ainsi le créateur du style qu’on appela consonant ou panconsonant.
Son influence a aussi été très importante dans le
développement du style contrapuntique de la renaissance.
On peut considérer qu’il assure ainsi le passage de l’ars
nova du moyen-âge à la musique de la renaissance.
Ce morceau se trouve dans un manuscrit datant d’environ
1420 et est significatif du nouveau style anglais avec une utilisation importante de la tierce majeure dans la
mélodie, et souvent aussi dans l’harmonie.
..
Motet isorythmique à 4 voix.
..
, l’une des chansons les plus célèbres du 15e siècle.
L’école Franco-flamande
L’école flamande, commence avec Gilles Binchois et
Guillaume Dufay vers 1430, et se termine avec Roland de Lassus à la fin
du 16e siècle. Elle assure dès le 15e siècle la
transition entre le moyen-âge et la
renaissance. Elle introduit en effet une véritable révolution harmonique déjà
initiée par J. Dunstable ainsi que des éléments tels que la cadence, la
prédominance de la voix supérieure et l’imitation qui vont marquer le siècle
suivant.
Enluminure d'un manuscrit du 15ème siècle montrant Guillaume Dufay près d'un orgue positif et Gilles Binchois tenant une harpe.
Guillaume Dufay est l’un des plus grands musiciens
français du XVe siècle.
Il compléta sa formation commencée à la maîtrise de Cambrai, par de nombreux
voyages en France et en Italie et sut faire la synthèse des différentes
écoles qui l’ont précédé.
Il fonda l’école
franco-flamande qui dura jusqu’à la fin du 16e siècle et
porta la musique polyphonique à son
apogée.
Guillaume Dufay a composé de nombreuses œuvres qui ont
servi de modèle aux générations suivantes, dont :
- des pièces de circonstances telles que par exemple
« Nuper rosarum flores » célébrant l’achèvement du Dôme de la cathédrale de Florence.
Guillaume Dufay a également participé à l’évolution de la
notation musicale en substituant aux valeurs alors notées en rouge, les figures
évidées que l’on utilise aujourd’hui pour la blanche et la ronde.
Extrait Musical
,
par le Madrigal de Prague, direction Miroslav Venhoda.
Par ses dimensions et par sa complexité, la messe
« Ave Regina Caelorum » est un des chefs-d’œuvre
de Dufay. Elle utilise un cantus firmus extrait d’un psaume du même nom.
Dufay a ajouté dans l’agnus Dei de cette messe des intercessions personnelles
pour les dernières heures de sa vie (Miserere
tui labentis Dufay : «Aies pitié de ton Dufay agonisant» )
Gilles de BINCHE dit BINCHOIS (1400 env.-1460)
Gilles Binchois, tout comme Guillaume
Dufay, fut fortement influencé par John Dunstable qu’il prit pour modèle.
Compositeur d’œuvres profanes et religieuses, il est surtout connu par ses
chansons polyphoniques profanes dont une cinquantaine nous sont parvenues, et
qui sont des plus belles dans ce genre.
Sa vie nous est connue en particulier grâce à une œuvre
écrite et composée par Ockeghem, sous le titre « Déploration sur la mort
de Binchois ». On y apprend que Gilles Binchois fut d’abord soldat avant
d’entrer dans les ordres. Il fut
attaché, pendant près de 35 ans, à la chapelle de Philippe le Bon de Bourgogne.
J. Ockeghem était considéré par ses contemporains comme
un génie de la musique. C’est l’un des compositeurs phare de l’école
franco-flamande, entre Guillaume Dufay et Josquin des prés. Il se caractérise par l’usage
systématique de l’imitation
et du canon, accentuant ainsi la mélodie
circulant dans les différentes voix. Il a introduit dans la musique
une nouvelle dimension émotionnelle et a beaucoup influencé les autres musiciens
de la renaissance.
Jacob Obrecht est né en 1457 ou 1458 à Gand (Belgique), et mort, victime de la grande peste, en juillet 1505 à Ferrare (Italie).
Il a écrit principalement de la musique religieuse : des messes et des motets, mais également quelques chansons profanes.
Il était le plus renommé des compositeurs de messes polyphoniques en Europe à la fin du 15e siècle.
Il a composé :
- 27 messes
- une trentaine de motets,
- une cinquantaine de compositions profanes.
Il a été le professeur de musique du jeune Erasme.
Josquin Des Prés, surnommé le « prince de la
musique » est assurément le plus grand compositeur de l’école
franco-flamande du 15e siècle. Il a su concilier dans sa musique
la spiritualité de l’époque médiévale et l’humanisme de la renaissance.
Il a marqué de son empreinte tous les genres qu’il a
abordés, en particulier messes,
motets et chansons.
Il a imposé le style « en imitation continue » qui sera
largement appliqué pendant tout le 16e siècle
Josquin des Prés a peut-être été l’élève d’Ockeghem, et
sans doute a-t-il également rencontré Guillaume Dufay. Avec Josquin des Prés
apparaissent dans la musique émotion et pathétique.
Luther (1483-1546) a dit de lui : « Les
musiciens font ce qu’ils peuvent des notes, Josquin en fait ce qu’il veut ».
Grâce à l’imprimerie récemment inventée, les œuvres de
Josquin des Prés ont pu être largement diffusées à son époque. Cela explique
que l’on connaisse la quasi totalité de son œuvre très importante, comprenant :
-
20 messes complètes ainsi que des fragments d’autres messes,
-
une centaine de motets
-
environ 80 chansons et pièces profanes
Extrait de la partition d'une chanson à 4 voix de Josquin des Prés
, imprimée à Venise en 1503 par Petrucci
Extraits musicaux :
Les extraits musicaux suivants illustrent les 3 genres
dans lesquels excella Josquin des
Prés : la messe, le motet et la chanson.
On remarquera le style « en imitation continue » particulièrement bien illustré par le
Sanctus de la messe « Ave Maria Stella » ainsi que par le motet
« Gaude Virgo » où le même thème se répète successivement dans les
différentes voix. La chanson « Plaine de deuil » exprime quant à elle
beaucoup d’émotion et de tristesse.